Femme particulièrement active, Scholastique Duquennoy1
avait de bonne heure aidé son propre père dans son commerce de
négociant forain, parcourant avec lui les villes d'au-delà de
l'Escaut et de la Meuse, où se tenaient les grands marchés de
cette époque, et souscrivant ou payant elle-même les traites et
billets à ordre échangés par son père avec les banquiers de
Tourcoing. Cette personne est mon arrière-arrière-grand-mère.
Devenue l'épouse de Louis Lorthiois2, elle continue sa vie un peu
fiévreuse, sans cependant se départir de ses devoirs. Les
combats qui se livrèrent autour de la ville de Tourcoing les 25
et 27 août 1793 la trouvèrent enceinte de son troisième enfant
et sans prendre garde à la loi récente dite du 25 juillet 1793
contre les émigrés, elle sortit de la ville en compagnie de son
mari et de son frère Antoine Duquennoy. Prise à partie par des
Hollandais fuyards, que le succès de nos armes avait obligés à
abandonner Tourcoing, et empêchée de rentrer dans sa ville
natale, elle n'hésita pas à traverser le Rhin et à se
réfugier à Paderborn, en Westphalie, où naquit son fils Floris
en décembre 1793. De ce fait, les époux Lorthiois et Antoine
Duquennoy furent portés sur la liste des émigrés et ayant à
craindre d'en subir toutes les conséquences, avec la privation
de fonctions publiques et la ruine de leur industrie, ils
adressèrent dès le mois de novembre 1797 aux autorités
départementales du Nord, résidant à ce moment à Douai, une
demande régulière en radiation de la liste des émigrés. La
pétition fit écho jusqu'au ministre de la Police à Paris ; une
enquête fut ordonnée et le commissaire près l'administration
communale de Tourcoing ayant suspecté l'authenticité d'un
passeport produit par Louis Lorthiois à l'appui de sa demande en
radiation, on crut devoir perquisitionner chez les intéressés.
Scholastique prit peur et se déroba ; elle passa de nouveau la
frontière et se réfugia en Suisse. Les fugitifs revinrent au
pays, porteurs de montres de Genève, qu'on conserva longtemps en
famille, en souvenir de cette équipée. Des perquisitions eurent
lieu à Tourcoing et même à Gand, chez ses frères, dont l'un
demeurait à Gand. Les perquisitions n'eurent aucun résultat ;
enfin le ministre de la Police, ayant eu connaissance du lieu de
résidence d'Antoine Duquennoy qui s'était marié depuis peu, en
1798, à Condé-sur-l'Escaut, le fit interroger et cédant aux
habitudes du moment, le mit sous la surveillance de
l'administration communale de Condé. L'affaire n'eut pas de
suites officielles, et chacun ne tarda pas à revenir
définitivement à Tourcoing. Les événements pénibles ne
furent pas un obstacle pour Louis Lorthiois ; sa situation de
fabricant lui avait valu d'être dénoncé personnellement comme
aristocrate à l'époque indéterminée où il habitait la rue
des Ursulines à Tourcoing.
Quand il mourut à l'âge de quarante-six ans, en 1810, il était
père de huit enfants, dont le dernier n'avait pas encore deux
ans. Scholastique lui survécut un peu plus de vingt-cinq ans et
mourut à l'âge de soixante-treize ans.
Anne-Marie Le Grain d'Heilly (1913 - 2000), ma grand-mère.
NOTES
1 - Scholastique Joseph
Duquennoy (1763 - 1836),
arrière-arrière-grand-mère de l'auteur.
2 - Louis Léon Joseph
Lorthiois (1764 - 1810),
arrière-arrière-grand-père de l'auteur.